Manuel confidentiel des Frères musulmans

D’après « Le Point » qui a eu accès au document de formation
réservé aux adhérents « fréristes ».
Un ouvrage de 177 pages qui n’avait pas vocation à être rendu public.
Édifiant. Par Erwan Seznec Publié le 21/05/2025.

 



L’Académie des talents, se présente comme un manuel de formation des militants des Frères musulmans. C'est un document qui parle d'intégrisme, de sécession sociale et culturelle et d'islamisation à long terme de l'Europe. Mais, cette fois, personne ne dénonce les Frères musulmans. Ils s'en chargent eux-mêmes.

Selon l'ancien Frère par lequel il nous est parvenu, il est étudié seulement dans les Usra (« famille », en arabe), des cellules clandestines de la structure islamiste regroupant trois personnes au maximum.

Rédigé en 2017, ce manuel porte à chaque page le logo de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), renommée Musulmans de France la même année. Son ou ses auteurs sont inconnus, mais on trouve encore, sur les réseaux sociaux, une vidéo datant d'il y a huit ans, où un membre de l'UOIF se présente comme le responsable de L'Académie des talents.

Actuellement principal adjoint d'un collège en Alsace, impliqué dans la vie associative locale et le dialogue interreligieux, il n'a pas répondu à nos sollicitations. Même silence du côté des Musulmans de France.

Une vision totalisante de l’islam

Pourtant, le moins que l'on puisse dire est que le texte appellerait des éclaircissements. « La charia des musulmans de France, ce sont les lois de la République », déclarait le président de l'UOIF, Amar Lasfar, en 2016 à la tribune lors des rencontres annuelles de l'organisation, au Bourget. Ce n'est pas du tout ce qu'entendent les adhérents de l'UOIF dans leurs Usras à la même époque.

Loin des oreilles indiscrètes, l'autonomie du politique est balayée au profit d'une vision totalisante de l'islam. « L'adoration de Dieu (Exalté) s'étend à la vie tout entière et en régit tous les aspects : de la manière de boire et de manger ou de faire ses besoins jusqu'à la construction de l'État, à la politique et à l'économie. » Cantonner la religion à la sphère privée ? Ce serait un péché. « Il est demandé à l'être humain de vivre son islam de manière exhaustive. Il n'est point permis de mettre en pratique une partie de la religion et d'en délaisser une autre. » Pas question non plus de vivre sa foi dans son coin, en mode quiétiste. Le croyant « se doit de réformer ses proches et sa société ».

Bien entendu, comme « les musulmans se trouvent en état de minorité dans un système non dirigé par l'islam », il faut temporiser. L'écart « entre l'universalité de l'islam et la réalité de la société européenne » ne se réduira pas en un jour.

Charia non négociable

« Immuable sur les fondements et souple concernant les domaines qui évoluent (telles les affaires de ce bas monde, la politique, les coutumes) », le Coran l'emportera nécessairement, car il a posé « la seule législation dont l'origine entière est divine et dont l'authenticité est prouvée ». Celle-ci « donne à l'homme ses droits, qu'il soit croyant ou non ». La charia a donc aussi vocation à régir l'existence des non-musulmans, sans concession à l'époque et à ses mœurs. Le châtiment archaïque de la main coupée pour les voleurs est présenté dans le manuel sans la moindre mise en perspective.



Parmi les références incontournables, citée à deux reprises, La Voie du musulman, du cheikh Abou Bakr al-Jazairi. Ce classique de la littérature salafiste saoudienne recommande de supprimer, en les jetant d'une hauteur, les homosexuels « actifs ou passifs » et prescrit de frapper « sur les parties molles » l'épouse désobéissante. Brutal, mais cohérent, de la part de fondamentalistes. Le problème très particulier posé par l'UOIF/Musulmans de France est le double langage. Pourquoi ces pétitions d'adhésion régulières à un « islam républicain » ? Quand faut-il croire ses porte-parole ? À la tribune ou dans les coulisses. 

Ces mêmes porte-parole ne refusent jamais le dialogue interreligieux. Certes, ils jugent l'islam supérieur au christianisme et au judaïsme, mais, par définition, les croyants sont habités par la supériorité de leur croyance. Le souci est que ceux-là théorisent de l'imposer par la force, le moment venu. Le manuel range dans les « aspects de la foi » la nécessité de « l'effort dans la voie de Dieu (Al-Jihad), qui vise à rendre la parole divine souveraine, à dresser haut le drapeau de la vérité et à combattre l'injustice et le désordre sur terre ». Il n'y a pas d'appel explicite à prendre les armes, mais la dimension eschatologique du texte d'apprentissage n'a rien à envier à la vision de fin du monde entretenue par Daech. Parmi les « signes précurseurs de l'Heure », « l'impudeur et le vice se répandront, avec notamment la généralisation de l'homosexualité et du lesbianisme ».

Intégrisme : Balayant des siècles de jurisprudence et d’efforts d’adaptation de l’islam, la charte frériste pose que les juristes n’ont pas le droit d’innover en religion. Une bonne définition de l’intégrisme. Il faut revenir à la lettre du Coran, « valable pour toute époque et pour tout lieu », et qui s’impose aussi aux non-croyants ! Le dialogue interreligieux est encouragé, à titre transitoire.




Tout aussi grave, « les liens familiaux seront rompus ». L'Académie des talents insiste beaucoup sur l'importance de la famille, mais bien davantage comme cercle de coercition que d'épanouissement. En terre infidèle, c'est sur la famille et sur les institutions islamiques « que repose la lourde tâche de préserver l'identité musulmane », sans considération pour les choix des enfants. Priorité à la « mise en avant de la communauté musulmane avant la mise en avant de l'individu ». En ce qui concerne les mariages interreligieux, l'islam permet des exceptions, mais, en règle générale, « vu les nuisances, ce type de mariage est interdit ».

Difficile de faire plus antagoniste avec les valeurs occidentales contemporaines. « Mon voile, mon choix », clamait une campagne européenne sur le hidjab de 2021 inspirée par des associations fréristes. Non, si on lit L'Académie des talents. Il n'y a pas de choix individuel. « Il y a un islam fermé, défini comme un cadre normatif strict et autoritaire, en contradiction, dans tous les domaines, avec les institutions de la République française, le principe de l'autonomie du politique et de l'autonomie de l'individu », résume l'islamologue Bernard Rougier, qui a analysé le manuel pour Le Point.

Rien ne peut aller contre le texte sacré, y compris la science. « L'islam enseigne au croyant la rigueur scientifique et la rationalité », mais il enseigne aussi comme une vérité à prendre au pied de la lettre que le jour viendra où « le soleil de l'Ouest se lèvera », signant l'avènement du règne de l'islam. Il faut y croire, comme « à toutes les révélations sans distinction, sinon la foi du musulman est incomplète et mène à la mécréance ».

Une mouvance sur le déclin ?

Le manuel frériste exige une adhésion sans recul à une doctrine religieuse totalisante, et il implique de la part des adhérents la suspension de tout esprit critique. C'est un des aspects troublants de cette formation. Elle vise à formater des militants aptes à se fondre dans leur environnement occidental, mais tout aussi aptes à adhérer, la minute suivante, à une religiosité millénariste et littérale. « Le transnationalisme des Frères est incompréhensible si l'on ne prend pas en compte l'ancrage local qui les fait exister », écrit la sociologue belge Brigitte Maréchal dans une étude de 2006 sur les Frères musulmans européens. Elle reprend à leur sujet le concept marketing de « glocalisation », contraction de globalisation et de localisation. L'islam est habillé pour chaque marché, mais, au fond, ses promoteurs restent inflexibles.

Vivant par et pour le compromis, les politiques le comprennent mal, à gauche comme à droite. « Lorsque Nicolas Sarkozy habilite les Frères à devenir des interlocuteurs de l'État » en 2003, écrit Florence Bergeaud Blackler dans Le Frérisme et ses réseaux. L'enquête (Odile Jacob, 2023), le ministre de l'Intérieur « croit les corrompre, les entraîner dans le confort de la notabilisation et les rendre plus dociles » au sein du Conseil français du culte musulman. Il ne saisit pas, estime-t-elle, que « ces kamikazes au ralenti » vivent dans une culture du sacrifice « qui sera récompensée en proportion au jour du Jugement dernier ». Selon la chercheuse, le manuel « ne contient rien de révolutionnaire » pour qui connaissait déjà les Frères, mais il établit sans équivoque l'appartenance de l'ex-UOIF/Musulmans de France à la mouvance qui, dans sa version militaire, a donné naissance au Hamas. Surtout, « la dimension programmatique de leurs actions, qui m'a valu tant d'accusations de complotisme, est établie »

« Tous ces éléments avaient été analysés dans Les Territoires conquis de l'islamisme », renchérit Bernard Rougier, politologue spécialiste de l'islam, coordinateur de cette passionnante enquête de terrain collective parue aux PUF en 2020. Le livre lui avait valu « procès judiciaires par les islamistes et attaques plus ou moins loyales par mes collègues chercheurs ». Admettre enfin la menace serait dans l'intérêt de la République comme des musulmans. Car, du Proche-Orient aux banlieues françaises, rappelle Bernard Rougier, « ce sont eux qui sont les premières victimes de cette opération de redéfinition du sens de leur appartenance », visant à imposer « un codage théologique de la réalité sociale et politique française souvent très proche de celui du djihadisme », très dangereux, quand bien même il ne prônerait jamais la violence.

                                                                           Erwan Seznec



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