L'ENGRENAGE DU FICHAGE DE LA POPULATION AVEC LA CRÉATION DE LA CARTE D'IDENTITÉ DE FRANÇAIS LOI DU 7 OCTOBRE 1940 #fichagedelapopulation #surveillancecitoyenne #donneespersonnelles #protectiondesdonnees #vieprivee #droitsnumeriques #controledelinformation #securitepublique #respectdelavieprivee #confidentialite #surveillanceetatique #respectdelavieprivee #protectiondeslibertes #droitsindividuels #viepriveemenacee










 


L'origine du fichage :


Le 7 octobre 1940 le Militärbefehlshaber exigea que le tampon
« Juif » soit apposé sur des cartes d'identité. La carte d'identité n'était pas encore généralisée en France. Il existait bien une « carte d'identité d'étranger » depuis un décret d'avril 1917 mais elle ne concernait pas les Juifs de nationalité française. Pour faciliter le contrôle de la population et la mise en œuvre de ce type de mesures, le régime de Vichy ordonna donc par la loi du 27 octobre 1940 que tout Français âgé de plus de seize ans justifie de son identité par la production d'une carte d'identité appelée la « carte d'identité de Français ».

 

Le rapport, préambule à cette loi, donne les raisons officielles suivantes à son institution (Extraits) : [Le défaut d'existence d'une carte d'identité officielle et unique pour tous les actes, si nombreux de la vie courante des Français, est une lacune de notre organisation administrative ; il nous parait indispensable de la combler, particulièrement dans les circonstances actuelles.…La facilité relative avec laquelle les cartes (d'identité) sont obtenues dans des cas trop nombreux ne permet pas de leur attribuer une valeur certaine, quant à l'identité exacte de leur titulaire. Leur présentation matérielle en cartonnage commun laisse le champ libre à toutes les falsifications et toutes les fraudes…Sous le nom de "Carte d'Identité de Français" le présent décret crée un titre uniforme obligatoire pour tous les Français de l'un et l'autre sexe âgés de plus de seize ans, et qu'aucun autre document ne pourra remplacer…]

 

Texte de la loi :

Art. 1er — Tout Français de l'un ou l'autre sexe, âgé de plus de seize ans, ne peut justifier de son identité, soit auprès des autorités administratives ou de police, soit en toute autre circonstance où cette justification est requise, que par la production d'une carte d'identité dit « Carte d'identité de Français », qui est établie sur des formules fournies gratuitement par l'administration et délivrées selon une procédure fixée par décret.

Aucun autre titre ne peut en tenir lieu.

Art. 2. — La « Carte d'identité de Français » est valable pendant dix ans du jour de sa délivrance.

La date à compter de laquelle la production de la carte d'identité sera obligatoire sera déterminée par le décret d'application.

Art. 3. — Le modèle de la carte sera déterminé par arrêté des ministres secrétaires d'État à l'intérieur et aux finances :

Art. 4. — La « Carte d'identité de Français » est soumise à un droit de timbre de 7 fr. dont le produit est affecté à concurrence de 6 fr. 50 au budget général et pour le surplus à un fonds commun départemental et communal.

La répartition de ce fonds commun entre les départements et les communes a lieu au prorata du chiffre de la population et à raison des trois dixièmes pour les communes et des sept dixièmes pour les départements.

Art. 5. — Sont exemptées du droit de timbre prévu à l'article ci-dessus et timbrées gratuitement à la condition de faire mention expresse du motif de la gratuité, les cartes délivrées :

1° Aux Français pères ou mères de trois enfants au moins ;

2° Aux enfants mineurs des Français visés à l'alinéa qui précède, lorsqu'ils sont à la charge de ces derniers ;

3° Aux épouses de Français présents sous les drapeaux au moment de la délivrance ou du renouvellement de la carte lorsque celles-ci ont droit aux allocations militaires ;

4° Aux enfants mineurs, des Français visés à l'alinéa qui précède lorsqu'ils sont à la charge de ces derniers ;

5° Aux indigents assistés.

Art. 6. — Les Français servant sous les drapeaux peuvent justifier de leur identité par da présentation soit de la carte d'identité d'officier, soit du livret individuel.

Les intéressés bénéficient d'un délai de trois mois à compter du jour de leur libération pour solliciter, s'ils en sont dépourvus, la « Carte d'identité de Français ».

En temps de paix, les dispositions du présent article ne s'appliquent pas aux militaires de carrière.

Art. 7. — Toute personne qui fabrique une fausse carte d'identité ou falsifie une carte d'identité originairement véritable ou fait usage d'une carte d'identité fabriquée ou falsifiée est punie de la peine prévue à l'article 153 du code pénal.

Art. 8. — Toute personne qui prend dans une carte d'identité un état civil supposé ou concourt comme témoin à faire délivrer la carte d'identité sous l'état civil supposé est punie de la peine prévue à l'article 154 du code pénal, premier alinéa.

La même peine est applicable à tout individu qui fait usage d'une carte d'identité délivrée sous un autre état civil que le sien ou utilise une autre carte que la sienne.

Art. 9. — Les Français astreints à posséder la carte d'identité prévue à l'article 1er doivent en être porteurs de manière à pouvoir la présenter à toute réquisition sous peine d'une amende de 1 à 15 fr.

Art. 10. — Toute carte d'identité, qui, avant la mise en application du régime Institué par le présent décret, a été délivrée conformément aux règlements en vigueur et a été régulièrement timbrée, est échangée gratuitement contre une carte d'identité de Français, laquelle recevra une durée de validité de dix années.

Art. 11. — Toutes dispositions contraires au présent décret sont abrogées.

Art. 12. — Les conditions d'application du présent décret en Algérie et dans les territoires relevant du secrétariat d'État aux colonies seront fixées par décrets spéciaux.

Art. 13. — Le garde des sceaux, ministre secrétaire d'État à la justice, le ministre secrétaire d'État à l'intérieur, le ministre secrétaire d'État aux affaires étrangères, le ministre secrétaire d'État aux finances, le ministre secrétaire d'État à la guerre, le ministre secrétaire d'État à la marine, le secrétaire d'État à l'aviation et le secrétaire d'État aux colonies sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel et exécuté comme loi de l'État.

Fait à Vichy, le 27 octobre 1940.

PH. PÉTAIN.

Par le Maréchal de France, chef de l'État français :

Le garde des sceaux.

ministre secrétaire d'État à la justice,

RAPHAËL ALIBERT.

Le ministre secrétaire d'État à l'intérieur,

MARCEL PEYROUTON.

Le ministre secrétaire d'État aux affaires étrangères,

PAUL BAUDOUIN.

Le ministre secrétaire d'État aux finances,

YVES BOUTHILLIER.

Le ministre secrétaire d'État à la guerre,

Gal HUNTZIGER.

Le ministre secrétaire d'État à la marine,

Al DARLAN.

Le secrétaire d'État à l'aviation,

Gal BERGERET.

Le secrétaire d'État aux colonies,

Al PLATON.


Textes qui suivent :

Après l'invasion de la zone sud en novembre 1942 à la suite de l'opération Torch, le gouvernement de Vichy y imposa cette même politique avec la loi du 11 décembre 1942. Par la suite, le tampon "Juif" fut remplacé par une perforation de la pièce d'identité, pour empêcher les fraudes.

Loi n° 1077 du 11 décembre 1942 relative à l'apposition de la mention "Juif" sur les titres d'identité délivrés aux Israélites français et étrangers

publiée au Journal officiel du 12 décembre 1942.

Le chef du Gouvernement,

Vu les actes constitutionnels 12 et 12 bis ;

Le conseil de cabinet entendu,

Décrétons :

Article 1er. - Toute personne de race juive aux termes de la loi du 2 juin 1941 est tenue de se présenter, dans un délai d'un mois à dater de la promulgation de la présente loi, au commissariat de police de sa résidence ou à défaut à la brigade de gendarmerie pour faire apposer la mention "Juif" sur la carte d'identité dont elle est titulaire ou sur le titre en tenant lieu et sur la carte individuelle d'alimentation.

Art. 2. - Les infractions aux dispositions de l'article 1er de la présente loi seront punies d'une peine d'un mois à un an d'emprisonnement et d'une amende de 100 à 10.000 F ou de l'une de ces deux peines seulement, sans préjudice du droit pour l'autorité administrative de prononcer l'interne­ment du délinquant.

Toute fausse déclaration ayant eu pour objet de dissimuler l'appartenance à la race juive sera punie des mêmes peines.

Art. 3. - Le présent décret sera publié au Journal officiel et exécuté comme loi de l'État.

Fait à Vichy, le 11 décembre 1942.

Pierre LAVAL.



 

 

L'application de ces mesures :

 

Certes, on trouva dans les commissariats, les gendarmeries, les préfectures et les mairies des fonctionnaires qui refusèrent d'appliquer cette mesure, fournissant même de faux papiers aux intéressés. 

____

 

Le Système d'enregistrement de l'identité - René Carmille

Cette "Carte d'Identité de Français" devait permettre de diffuser sur une très large échelle le numéro d’identification à treize chiffres inventé par René Carmille.



René Carmille, polytechnicien et contrôleur général des armées a créé sous l'Occupation le Service National des Statistiques (SNS), qui deviendra l'Insee en 1946, et le numéro de code individuel qui deviendra, à la Libération, le numéro de sécurité sociale, toujours utilisé en France.

La logique du numéro d'identification s'articule ainsi :

1° Un chiffre, de 0 à 9 qui définit à la fois le sexe (impair pour les hommes et pair pour les femmes) et le statut :

Statut de citoyen français : Homme 1 ; Femme 2

Statut de français indigène non juif : Homme 3 ; Femme 4

Statut de sujet français indigène juif : Homme 5 ; Femme 6

Statut d'étrangers : Homme 7 ; Femme 8

Statut mal défini : Homme 9 ; Femme 0

2° Deux chiffres, de 00 à 99, définissent l’année de naissance. Ce sont les deux derniers chiffres du millésime.

3° Deux chiffres de 01 à 12, définissent le mois de naissance.

4° Cinq chiffres définissent le lieu de naissance d’après un code géographique des communes. Les deux premiers chiffres définissent le département (ou la colonie). Les trois suivants définissent la commune. Le pays ou fraction de pays étrangers ont une codification spéciale.

5° Les registres d’état civil ont fourni un répertoire spécial à chaque commune, où les naissances sont inscrites dans l’ordre chronologique. Un numéro d’ordre de trois chiffres pour chaque mois, de 001 à 999 a été attribué à chaque individu selon son rang d’inscription sur le répertoire. Des procédés particuliers ont permis d’établir ce répertoire même dans les cas où les registres de l’état civil ne pouvaient être utilisés (cas des étrangers ou des registres détruits ou perdus).

Exemple : le numéro 1-85-05-72.070-008 est le numéro d’identification de X, citoyen français, du sexe masculin, né le 12 mai 1885 à Mâcon (Saône-et-Loire) inscrit le huitième sur la liste d’identification tenue par la Direction régionale de Lyon pour les personnes nées à Mâcon en mai 1885.

 

René Carmille dans son désir de recenser tous les individus mobilisables pour combattre l'envahisseur allemand s'est peut-être laissé entraîner dans la construction d'un outil de statistique qu'il n'arrivait plus à  maîtriser. Il a dû, pour pouvoir poursuivre son travail, ruser avec l'occupant nazis, faisant croire que ce système permettrait de mieux contrôler la population pour éviter les fraudes sur l'identité. On peut penser ainsi qu'il aurait voulu séduire un occupant désireux de contrôler toute la population. Approché par l'une de ses secrétaires, il fût recruté dans le réseau "Marco Polo" de résistance lyonnais. Mais quand les nazis lui demandèrent la liste des juifs de France, il se trouva pris au piège de son invention et sabota le système mécanographique pour finalement refuser de répondre ce qui alerta les allemands. Il a été arrêté par la gestapo le 3 février 1942 et déporté à Dachau où il est mort le 25 janvier 1945.

 

ANALYSE ET DEVELOPPEMENT


1) Le cas du SNS et René Carmille

Sous Vichy un bouleversement important prit forme dans la manière dont les procédures d’encartement devaient être appliquées puisque, pour la première fois en France, elles donnèrent lieu à l’institutionnalisation d’une étroite coopération entre les services du ministère de l’Intérieur et les services statistiques. Rattachés au ministère des Finances, ces derniers sont dirigés par le contrôleur général des armées René Carmille : le « Service de la Démographie » (SD) institué en novembre 1940 auquel succède le « Service National des Statistiques » (SNS) en octobre 19416. Il s'agissait de réaliser des dénombrements et des statistiques de la population française à partir de méthodes présentées comme inédites reposant sur le recours à la mécanographie. Dans le même temps, ils poursuivent officieusement un autre objectif : préparer, à la suite de la convention d’armistice de juin 1940 ayant imposé la dissolution des bureaux départementaux de recrutement militaire, la constitution d’une armée de Libération nationale contre l’occupant qui pourra éventuellement être mobilisée si les circonstances le permettent. D’où l’idée, afin de dissimuler cette entreprise aux autorités allemandes, de « noyer » la constitution de ce véritable fichier militaire dans des fichiers d’intérêts généraux. Ainsi, dès la fin de l’année 1940, sous prétexte de rechercher les fraudes commises en matière de perception des primes de démobilisation, le SD organise un récolement des bulletins de démobilisation pour la zone Sud à partir duquel il crée un fichier mécanographique général militaire contenant une fiche correspondant à chaque soldat démobilisé. De même, à partir de juillet 1941, ce service effectue en zone non occupée un recensement des activités professionnelles de toutes les personnes nées entre janvier 1876 et décembre 1927. Ce recensement lui permet alors de déterminer précisément l’adresse d’un grand nombre de soldats démobilisés et de confectionner, pour tout individu alors recensé, une fiche mécanographique dite « AP11 ». Ce plan de mobilisation d’une armée de plus de 300 000 hommes va cependant échouer du fait de l’invasion de la zone Sud par l’occupant en novembre 1942 et, dès lors, nombre d’outils nécessaires à sa mise en œuvre seront détruits.

Après l’échec de cette initiative, les données individuelles qui avaient été collectées sont tout de même conservées par les services statistiques. En effet, elles leur sont précieuses en vue de concrétiser l’objectif plus vaste qui leur a été officiellement assigné : remplacer les dénombrements globaux jusqu’alors effectués en France par les différents services statistiques par une méthode de « recensement continu » impliquant la création d’un fichier national de la population. À terme, ce fichier national de population devra contenir un dossier individuel sur chaque Français. Les données personnelles contenues dans ce dossier individuel seront traduites en notations chiffrées sur des cartes perforées. Traitées de manière mécanographique, ces cartes perforées pourront servir à l’élaboration de précises statistiques de groupe.

Quand débute la délivrance de la CI de F en 1943, les employés des mairies reçoivent pour ordre de vérifier soigneusement les mentions inscrites sur ce bulletin par chaque citoyen qui envisage d’obtenir cette carte.

René Carmille ne voulait certainement pas que les services statistiques facilitent l’accomplissement des desseins répressifs du régime de Vichy. Ainsi, il écrit que « ses attributions [du SNS] sont purement statistiques à l’exclusion de tout rôle de police ». Cette ligne de conduite se manifeste d’ailleurs clairement à travers sa décision de ne pas communiquer aux préfectures le numéro d’identification des « personnes n’ayant pu justifier d’un état civil régulier ».

Des fonctionnaires des services statistiques ont très probablement joué un rôle important dans le processus de confection de fausses CI de F. En effet, certains d’entre eux ont fourni aux services français de Londres et aux services de renseignement interalliés le modèle de cette carte ainsi que des informations sur ses procédures de délivrance. De même, ils leur ont livré le composteur servant à inscrire sur ce titre le numéro d’identification à treize chiffres mis au point par René Carmille.

Cette expérience de la période 1940-1944 durant laquelle se manifeste une volonté étatique d’identification totale des individus à travers la mobilisation de savoir et de savoir-faire visant à rationaliser à l’extrême tout en les combinant les usages des titres d’identité, des numéros d’identification et des données de l’état civil va profondément conditionner durant l’après-guerre les pratiques d’encartement du MI. Toujours soucieux de mettre en place des instruments de papier sans cesse plus sophistiqués afin de savoir avec certitude qui est qui, il devra désormais aussi constamment faire face à de larges mouvements de contestation qui mettront systématiquement en avant l’argument du « syndrome de Vichy » pour contrarier ses plans stigmatisés comme liberticides. Dans ce domaine en France, l’influence du poids du passé sur le devenir de certaines pratiques du MI ne doit donc pas être négligée comme l’a encore significativement montré l’échec en 2005 de son projet de carte d’identité biométrique baptisé « INES ».

Enfin, sans être certain que tout soit dit sur les intentions réelles de M. Carmille, citons cette note interne de l’INSEE en date du 9 décembre 1948 qui  précise à ce sujet : « Il est prouvé que l’arrestation de M. Carmille par les Allemands en février 1944 n’a pas été motivée par des soupçons sur l’activité du SNS mais par une action parallèle dans le cadre d’un réseau de résistance indépendant du service. S’il en avait été autrement, les Allemands auraient demandé la suppression du SNS et auraient arrêté ses principaux fonctionnaires ; ils ne se seraient pas contentés de déporter M. Carmille et son chef de cabinet M. Jaouen (ce dernier pour s’être interposé entre la Gestapo et M. Carmille) ». Vrai ou faux ?

 

2) Risques d'une identification totale des individus dans l'espace public

L'installation progressive de la reconnaissance faciale dans notre quotidien et son utilisation, certes limitée, par les pouvoirs publics, y compris pour des usages policiers, ne vont pas sans poser de questions sur le plan de la sauvegarde des libertés publiques.

Dans ce contexte, les implications du développement de la reconnaissance faciale sur la sauvegarde des libertés publiques engendrent des risques.

Risques liés à la nature et au recueil des données utilisées par les algorithmes

a) La biométrie du visage, une donnée sensible.

Le traitement des données biométriques du visage doit faire l'objet d'une vigilance particulière dès lors que ces données permettent, selon les termes de la CNIL, « à tout moment l'identification de la personne concernée sur la base d'une réalité biologique qui lui est propre, permanente dans le temps et dont elle ne peut s'affranchir ». Loin d'être une donnée anodine, la biométrie du visage touche au plus profond de notre identité personnelle. Les conséquences potentielles d'un traitement détourné, disproportionné ou dysfonctionnel de cette donnée peuvent se révéler particulièrement dommageables, s'étirant du refus d'accès à un service déterminé jusqu'à une implication injustifiée dans une enquête criminelle. Juridiquement, cette caractéristique justifie la classification de la biométrie du visage au rang des « données [à caractère personnel] sensibles » au sens tant de l'article 9 du RGPD que de l'article 10 de la directive dite « Police-Justice » et dont le traitement est, en principe, prohibé. Surtout, à la différence d'autres données biométriques telles que les empreintes digitales ou l'iris, le visage d'un individu peut être recueilli à distance et potentiellement à son insu, voire contre son gré. Le Défenseur des droits oppose ainsi les technologies « actives » nécessitant une action volontaire de l'individu pour fournir la donnée, des technologies « passives » où son recueil est possible sans intervention du sujet. C'est le cas de la biométrie du visage et, par conséquent, de la reconnaissance faciale. Cette possibilité de captation furtive renforce substantiellement le risque d'atteinte aux libertés publiques et justifie l'introduction de garanties renforcées.

b) La constitution des bases de données d'apprentissage et de comparaison

Au-delà de la nature même de la donnée utilisée, ce sont les conditions de son recueil qui sont synonymes de risques pour les libertés publiques. Deux constats s'imposent. D'une part, le recueil des données biométriques du visage est aujourd'hui relativement aisé, compte tenu de la progression constante des dispositifs de captation et de la disponibilité directe d'un volume massif d'images sur l'espace numérique. D'autre part, cet accès facilité à une donnée indispensable au développement et à l'utilisation des algorithmes génère des risques d'appropriation indue et soulève la question du consentement et de l'information des personnes concernées.

Des moyens de captation de la donnée de plus en plus répandus et performants

Sur le plan privé : Au fil du progrès technologique, les appareils de captation tendent à se diversifier (smartphones, télé-connectées, caméras portatives...). De plus, chaque individu a potentiellement la capacité de recueillir le visage d'une personne, par exemple en réalisant des photos ou des vidéos avec son smartphone. Cela se fait parfois de manière inconsciente, par la captation incidente de personnes en arrière-plan. Or une donnée biométrique, en l'espèce le gabarit du visage, peut être en théorie extraite de n'importe quelle photo, au prix d'une manipulation plus ou moins lourde. Certains dispositifs de captation atteignent désormais des niveaux de résolution particulièrement élevés, facilitant d'autant l'extraction du gabarit et le recours à la reconnaissance faciale.

Sur la voie publique : le nombre et la qualité des dispositifs de captation d'images, fixes ou mobiles, déployés sur l'espace public ont considérablement augmenté au cours des dernières années. En théorie, les forces de sécurité intérieure pourraient utiliser la reconnaissance faciale sur un vaste périmètre et à partir d'un réservoir de données conséquent. La Cour des comptes estimait en 2011 à près de 10 000 le nombre de caméras de vidéoprotection installées sur l'espace public. Sept années plus tard ce chiffre se portait, selon les données à sa disposition, entre 60 000 selon la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) et 76 000 selon les directions métiers (819 communes dotées de 37 757 caméras en zone police, sans compter Paris et la petite couronne, et 3 200 communes équipées de 38 700 caméras en zone gendarmerie). On observe toutefois de fortes disparités entre les communes en termes de ratio de caméra par habitants, pouvant aller de 0 jusqu'à une pour 99 personnes, comme dans le cas de Berre-l'Étang dans les Bouches-du-Rhône.

Plus récemment, l'institution de la rue Cambon s'est penchée sur le plan de vidéoprotection de la préfecture de police de Paris, pour l'application duquel elle communique le chiffre de 4 000 caméras déployées en propre par la préfecture de police et de plus de 37 000 caméras interconnectées sur le territoire régional.

Par ailleurs, ces chiffres ne tiennent pas compte du recours à des caméras mobile par les forces de l'ordre ou les sapeurs-pompiers.

Grace à Internet et aux réseaux sociaux : Selon les estimations publiques disponibles et avec les précautions d'usage, près de deux milliards d'individus utiliseraient par exemple quotidiennement le réseau social Facebook dans le monde, et 350 millions d'images y seraient enregistrées chaque jour pour un volume total d'environ 250 milliards de photos stockées.

Estimations disponibles du nombre d'utilisateurs quotidiens des principaux réseaux sociaux (en 2021)

Facebook

Instagram

Youtube

Utilisateurs mensuels (en millions)

2 895

1 386

2 291

Stock de photos/vidéos (en milliards)

350

50

-

Dont ajout quotidiens (en millions)

250

100

720 000 heures

À bien des égards, Internet constitue donc un vivier quasi-infini d'images, dont une proportion importante, bien qu'impossible à évaluer avec certitude, d'images du visage permettant d'en extraire les données biométriques.

Altération des résultats des algorithmes

Les entreprises Microsoft et IBM estiment, respectivement que les risques d'altération et de discrimination sont réels et qu'il ne fait aucun doute que les préjugés humains peuvent influencer les algorithmes et entraîner des résultats discriminatoires.

3) Cas de la Russie :

Des systèmes de reconnaissance faciale sont désormais largement implantés dans les stations de métro de Moscou afin de pouvoir procéder à des paiements sans contact, mais aussi d'identifier des personnes recherchées. Néanmoins, les autorités locales auraient également utilisé le système municipal de vidéoprotection pour contrôler le respect des mesures de restriction sanitaire pendant la pandémie ;

4) Cas de l'Italie :

Le rapport du Défenseur des droits revient sur l'interdiction par l'autorité italienne de protection des données du système mobile « Sari real time » 91 qui aurait notamment été utilisé par la police, en raison de l'absence de base légale pertinente et du risque de surveillance indiscriminée.

3) L'Exemple Chinois




Grâce à ses millions de caméras intelligentes, le totalitarisme numérique du régime chinois serait en passe de généraliser le "crédit social", système qui récompense ou pénalise les habitants selon leur niveau de vertu. La Chine tient un rôle majeur dans la course aux technologies de surveillance lancée à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et accéléré avec la crise du COVID. Pékin veut renforcer sa sécurité intérieure et devenir le leader mondial de l'intelligence artificielle d'ici 2030, avec un budget annuel de plus de 60 milliards de dollars.



Selon Amnesty International : Les technologies biométriques de surveillance sont omniprésentes dans la région autonome Ouïghoure du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine, où le nombre d’Ouïghours et de membres d’autres groupes ethniques retenus arbitrairement captifs dans des camps dits de rééducation est estimé à près d’un million.

La reconnaissance faciale au quotidien : Payer son KFC avec son visage, prendre les transports en commun, effectuer des retraits bancaires c’est possible en Chine grâce à la reconnaissance faciale ! Depuis décembre 2019, l’enregistrement par reconnaissance faciale est obligatoire pour tout individu achetant un téléphone portable dans une boutique du pays. Le processus conserve les données correspondant au numéro téléphonique et les opérateurs peuvent recourir à l’intelligence artificielle et autres moyens techniques pour connaître l’identité réelle des citoyens qui achètent le numéro.

Adieu vie privée ? Ce n’est pas la première fois que le gouvernement chinois édicte ce type de mesure. En septembre 2019, une directive avait renforcé l’enregistrement en ligne des citoyens sous leur identité réelle, à des fins de préservation des droits et des intérêts des citoyens selon les autorités. L’enregistrement sous identité réelle est en vigueur depuis 2013 en Chine mais l’utilisation de l’intelligence artificielle et la reconnaissance faciale sont nouvelles. Le recours à la reconnaissance faciale est une méthode parmi d’autres utilisée par le gouvernement chinois, qui cherche à promouvoir un développement « sain et ordonné » d’Internet tout en protégeant la sécurité de l’État et l’intérêt public. Mais la mesure a suscité l’inquiétude de certains : peur que leurs données ne soient enregistrées puis transmises à des tiers voire revendues.

 

Conclusion : Plus de sécurité ou plus de libertés ?

Industriels et forces de l’ordre se penchent depuis plusieurs années sur une possible exploitation de cette technologie. En 2019, la mairie de Nice avait par exemple capté pour une expérience les visages de milliers de citoyens par un dispositif de vidéosurveillance. Les visages étaient analysés en temps réel à l’aide d’un logiciel de reconnaissance faciale. Un rapport avait ensuite été transmis à la CNIL, qui l’avait trouvé trop imprécis et manquant d’éléments techniques. La CNIL a jugé qu’il ne permettait pas d’avoir une vision objective sur l’expérimentation et un avis sur son efficacité.

 

***

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE :

 

-"Système d’enregistrement d’identité, numéro d’identification et “carte d’identité de Français” durant le Régime de Vichy"- Article de Pierre Piazza, (OpenEdition) ;

-     Chine Versus France (Le Droit et Moi) ;

- Risques d'une identification totale des individus et reconnaissance biométrique dans l'espace public. (Rapport du Sénat en date du 10/05/2022 par Marc-Philippe Daubresse, Arnaud de Belenet et Jérôme Durain) ;

-      Rapport d'Amnesty International.

 













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