DE LA RELIGION ET DU SENS DE LA VIE
Démocrite 460 Av-JC
DE LA RELIGION ET DU SENS DE LA VIE
Vivons-nous
dans une illusion ?
J’ai retrouvé dans mes vieux
papiers un poème intitulé « Regrets », écrit en 1952 à Nice par notre
amie fleuriste Andrée Boissin, où elle exprime sa foi en Dieu retrouvée après
un long chemin chez les incroyants. Ce
poème que je trouve émouvant par la paix qu’il dégage, paix d’une âme qui ne
souffre plus, m’interpelle ; moi qui suis non croyant en quête de vérité
et du sens de notre vie ou le bonheur n’est pas souvent au rendez-vous. Faut-il
croire en Dieu pour vivre heureux ? Ou bien n’est-ce là encore qu’une
illusion de bonheur ; cette question qui m’avait envahi à l’âge de vingt
ans le jour où j’ai découvert cette pensée terrible de Démocrite « A l’origine
de toutes choses, il y a les atomes et le vide, tout le reste n’est que
supposition » où supposition était parfois remplacé par « illusion »
(dixit notre prof de philo). Vivre en se disant que notre existence n’est
peut-être qu’une illusion est un état qui donne le vertige car il n’y a plus de
repère, on ne sait même plus si ce que l’on voit est vrai ; on vit dans le
doute absolu ; on ne croit plus à rien. Et c’est là où le mot croire
revient sur la sellette ! Etrange tout cela.
C’est comme notre organe de la vision ;
doit-on croire à ce que l’on voit. C’est un sujet que j’ai pu aborder dans le
programme de physique en terminale où l’on parlait de ce professeur à
l’université qui faisait de brillants exposés sur la nature ondulatoire de la
lumière, une lumière qu’il n’avait jamais vue puisqu’il était né aveugle. On
pouvait donc lui parler par exemple de la longueur d’onde des couleurs (symbole
Lambda) et toutes leurs caractéristiques mais il ne saurait jamais ce
qu’éprouve un voyant. En allant plus loin, nous ignorons si les autres voient
les couleurs comme nous ; tout ce que nous savons c’est que nous désignons
chaque couleur sous le même mot. Essayez de définir une couleur par la
sensation qu’elle vous procure ; vous n’y parvenez pas car c’est du
domaine de l’intransmissible, du ressenti. Ainsi, quand je dis qu’aujourd’hui
il fait beau et que le ciel est bleu, mon voisin qui regarde le ciel
confirme : « ah oui le ciel est bleu ça fait plaisir »,
mais nous nous ne savons pas si nous avons vu le bleu de la même façon. Il en
va de la sorte pour les daltoniens. Notre sensation des couleurs est une
création de notre cerveau qui réagit face à chaque longueur d’onde. On croit
savoir, par exemple, que les chats ne voient pas les couleurs comme les
humains. Le monde en couleur ne serait donc qu’une illusion pour nous permettre
de mieux distinguer les choses.
Nous sommes donc prisonniers de
nos sens et je ne sais pas s’il existe des personnes capables de s’en évader.
Je garde en mémoire cette phrase de Monsieur Baudoin (prof de philo à l’EN de
Nice en 1965) : « Essayer un peu d’imaginer, des êtres plats vivant
sur une surface ? ». De la même façon, dans notre perception de l’univers
en trois dimensions, plus la notion de temps, nous avons du mal à imaginer une
quatrième dimension.
Cette recherche du vrai et de la frontière
entre le rêve et la réalité m’a emmené bien sur jusqu’à l’histoire du papillon
de Tchouang-Tseu quatre siècles avant notre ère : « Tchouang-Tseu rêva
qu'il était papillon, voletant, heureux de son sort, ne sachant pas qu'il était
Tchouang-Tseu. Il se réveilla soudain et s'aperçut qu'il était Tchouang-Tseu.
Il ne savait plus s'il était Tchouang-Tseu qui venait de rêver qu'il était papillon
ou s'il était un papillon qui rêvait qu'il était Tchouang-Tseu. »
Sauf que le jeune homme que
j’étais est tombé dans ce gouffre où l’on doute de tout et où il n’y a plus de
repères ; une grande dépression qui m’a emmené sur le divan d’un
psychanalyste pour une traversée au pays de l’inconscient qui devait durer
vingt-quatre ans au grand dam des esprits conservateurs des années 60 qui
assimilaient Sigmund Freud aux astrologues où autres diseurs de bonne aventure !
Face à mes questionnements, je me suis donc retrouvé seul et par la force des
choses, me suis reconstruit seul.
Il faut dire aussi que vivais
dans l’athéisme le plus profond malgré mes origines italiennes et espagnoles,
des familles où tout le monde allait à la messe le dimanche. Tandis que mon
père, libre penseur, mais militant actif du parti communiste en Algérie avait
refusé de me faire baptiser. D’ailleurs, les églises me faisaient peur comme
les mises en gardes que nos tantes faisaient aux enfants : « Si tu
n’es pas sage et que tu vis dans le péché tu iras en enfer ». Tremblez
bonnes gens ! Surtout avec des images comme cette peinture de Dirk Bouts
en 1470 « La Chute des damnés » que je regardais avec frayeur dans le
grands livre encyclopédique sur l’Histoire des Religions.
La Chute des damnés - Kirk Bouts 1470
C’était l’époque où, avec ma
mère, ils apprenaient l’espéranto, (un mélange de toutes les langues) et œuvraient
pour un monde sans classes sociales, levant le poing au chant de
« l’Internationale ». Bien entendu, la pensée de Karl Marx était au
rendez-vous avec cette phrase connue : « La religion est l’opium
du peuple » et chaque jour, à table, on bouffait du curé ! Les choses
auraient-elles été différentes si j’avais été croyant ? Je ne le saurais
jamais.
A l’aube de mes quatre-vingts
ans, même si je suis toujours incroyant, ignorant sur l’origine du monde et de
la vie, plutôt que de parler de Dieu, je ne serais pas opposé à la vision
maçonnique du « Grand architecte de l’univers » auquel d’ailleurs
j’ai renoncé à m’assimiler dans mes questionnements d’adolescent où l’on veut
tout expliquer dans une recherche de toute puissance. Et d’ailleurs, si nous
savions tout, nous n’aurions plus rien à attendre du monde et la vie serait
triste. Je me réjouis donc d’être toujours un apprentis et d’avoir des choses à
découvrir, comme disait si bien ce cher Victor Hugo : « Avoir devant
les yeux sans cesse, nuit et jour, ou quelque grand labeur ou quelque grand
amour ».
Au terme de mes pérégrinations
aux frontières du réel et de l’irréel j’en suis arrivé à me dire qu’il ne
fallait pas chercher une finalité à notre existence, autre que celle du plaisir
et qu’à ce titre notre vie ne valait pas plus, fondamentalement, que celle des
autres êtres vivants. Ainsi, en regardant mon chat qui recherche lui aussi le
plaisir avec, au moins, sa juste « reconnaissance du ventre », je ne
peux m’empêcher de penser qu’il est magnifique, un sentiment inexprimable dont
il m’importe peu de savoir s’il est réel ou irréel.
Des grands
sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent
s’endormir dans un rêve sans fin ;
Leurs reins
féconds sont pleins d’étincelles magiques
Et des
parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques. »
Charles
Baudelaire
Si je ne m’imagine pas en train
de prier Dieu et que je préfère, par exemple, adhérer aux idées de fraternité
(dixit le Pasteur Martin Luther King), je conçois que d’autres aient ce besoin
croire en l’Eternel comme notre amie Andrée Boissin. Je voudrais donc, poursuivre
ce propos en vous racontant cette histoire d’un ami Kabyle : Smaïl allait
se marier avec la femme de ses rêves et me confia qu’il voulait se purifier
avant la cérémonie. Il se sentait mal à l’aise face à cette future épouse,
qu’il trouvait propre et pure, d’être dépendant du tabac et un peu de l’alcool.
J’essayais bien de lui raconter comment j’avais cessé de fumer par force de
volonté mais il me répondit qu’il ne pouvait prendre le même chemin que moi car
nous étions tous différents. La discussion se poursuivi sur le thème de la
propreté morale et du manque de spiritualité de ce monde des années 90.
Quelques mois plus tard, alors que la date de son mariage approchait, je
rencontrais Smaïl sur la Place du Marché, l’air sûr de lui et rayonnant. Il
était retourné faire des prières à la mosquée et en quelques semaines sa
dépendance au tabac et à l’alcool s’était envolée. Comprenne qui peut.
Ces deux histoires d’Andrée et
Smaïl illustrent à elles seules la place que peut avoir la religion pour
certains, un choix qu’il faut respecter. Que m’importe en effet que mon voisin
aille prier à la Synagogue, à l’Eglise, au Temple ou à la Mosquée si cela peut l’aider
à vivre et le rendre meilleur, tant qu’il ne me reproche pas d’être différent,
où de ne pas adhérer à sa religion. Toujours sur les conseil de mon ancien
professeur de philosophie, j’ai souvent pris le temps de consulter les textes
saints au même titre que les ouvrages fondamentaux d’histoire et de littérature
même si les étudiants paresseux que nous étions avaient quelques réticences
vis-à-vis de Berkeley, Bergson ou Montesquieu… Ainsi, j’ai trouvé dans mes
lectures sur « les religions du livre », des leçons de vie très
intéressantes et ma surprise a été grande quand un commerçant marocain
(musulman) m’a cité ce qu’il considérait comme la pierre angulaire des
relations entre les hommes : La scène de la femme adultère dans l’Evangile
selon Saint-Jean connue pour cette phrase célèbre « que celui qui n’a
jamais pêché jette la première pierre » pour dire qu'il ne faut pas blâmer
quelqu'un pour une erreur que beaucoup de gens font.
Voici l’extrait du texte : [les
Pharisiens amènent une femme surprise en adultère et, la plaçant au milieu, ils
disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit
d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là.
Toi donc, que dis-tu ? » Ils disaient cela pour le mettre à l’épreuve, afin
d’avoir matière à l’accuser. Mais Jésus, se baissant, se mit à écrire avec son
doigt sur le sol. Comme ils persistaient à l’interroger, il se redressa et leur
dit : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier une
pierre ! » Et se baissant de nouveau, il écrivait sur le sol. Mais eux,
entendant cela, s’en allèrent un à un, à commencer par les plus vieux ; et il
fut laissé seul, avec la femme toujours là au milieu. Alors, se redressant,
Jésus lui dit : « Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle dit :
« Personne, Seigneur. » Alors Jésus dit : « Moi non plus, je ne te condamne
pas. Va, désormais ne pèche plus. »]
Je ne peux donc pas accepter les
appels à la violence que font certains au nom des textes saints car ils ne font
que déformer leur sens et suscitent des actes terribles de barbarie comme ceux
que nous vivons depuis quelques années. N’oublions pas la triste époque des
guerres de religion en France avec des dates comme la nuit de la
Saint-Barthélemy en 1572 ou le massacre des Albigeois en 1209 qui sont des
sombres moments de notre histoire avec des dizaines de milliers de morts. De la
même façon qu’il est insupportable de voir massacrer les chrétiens d’orient ou
les juifs, il n’est pas acceptable que certains de mes amis marocains soient
obligés de se cacher pour aller prier à la mosquée.
« La religion ne transforme pas les gens en criminels, ce sont les criminels qui utilisent la religion comme alibi de leur soif de pouvoir ».
Tenzin Gyatso 14ème Dalaï lama
Pour compléter ce chapitre des
persécutions religieuses, je vais raconter ici ce qui m’est arrivé en 1985 lors
d’un voyage en ex-URSS où on ne faisait pas la part belle aux cultes autres que
ceux de la religion orthodoxe, (histoire reprise dans un autre texte sur ce
blog) : [Avec mon appareil photo en bandoulière j’avais parcouru Moscou et des
villes comme Tachkent, Samarkand, Boukhara et Ourguentch en Asie centrale,
parlant avec les habitants au grand dam des apparatchiks du pouvoir toujours à
l’aguet qui n’appréciaient pas ma curiosité. Ainsi, malgré les commentaires
propagandistes sirupeux faits aux visiteurs, j’ai pu constater que les
musulmans de ces républiques ne pouvaient pas pratiquer librement leur foi et
qu’il n’y avait pas d’appel à la prière par le muezzin (inexistant). Mieux que
cela, les écoles coraniques (Médersas) ne servaient pour la circonstance qu’à
recevoir les touristes pour lesquels des spectacles étaient organisés avec des
jeunes femmes très légèrement vêtues faisant la danse du ventre sur des
musiques orientales pendant que le champagne et les alcools coulaient à flot
pour les visiteurs ! Je ne manquais pas bien-sûr de prendre des photos et
d’interroger le maximum d’habitants qui m’apprirent par exemple que
l’entretient et la restauration des Médersas étaient fait gratuitement par des
étudiants musulmans. Hélas, ma curiosité m’a coûté cher car deux individus
habillés d’un uniforme foncé (que je n’avais pas vu arriver), m’ont empoigné et
emmené loin de là dans un poste de sécurité où se tenaient des officiers
Russes. L’un d’eux me regarda avec un sourire, mettant un doigt sous son œil en
disant « touriste » ? En fait, ils m’avaient pris pour un espion au service
d’une puissance étrangère et comme ils ne parlaient ni le Français ni l’Anglais
j’ai dû pendant des heures tenter de m’expliquer avec des signes pour prouver
que je n’étais simplement qu’un touriste. Bien entendu, la pellicule de mon
appareil photo fut détruite. Quand on m’a laissé sortir, je suis retourné à
l’hôtel écœuré, décidant d’écourter mon voyage.]
Cette parenthèse étant fermée, je
voudrais dire que nous avons la chance de vivre dans une vraie démocratie où il
y a encore une liberté de penser et une liberté de croire ou ne pas croire en
Dieu et de pratiquer le culte de son choix.
Tous les appels à la violence
contre telle ou telle religion sont vains et ne font que servir les ennemis de la
démocratie utilisant le crime et la barbarie pour dresser les communautés les
unes contre les autres afin d’imposer par le sang une nouvelle dictature.
« Diviser pour régner » ne date pas d’hier et nous risquons de payer
très cher notre passivité si nous ne défendons pas notre Liberté et le principe
de séparation de l’église et de l’Etat.
Je suis né incroyant et le suis
resté en appliquant deux principes qui disent « Ne fais pas aux autres ce
que tu ne voudrais pas qu’on te fasse » et « Comme tu feras ton lit
tu te coucheras » et ne m’en suis pas porté plus mal. J’ai fondé une
famille où catholiques et musulmans vivent ensemble paisiblement et continue ma
vie d’apprenti dans ce monde que je quitterai un jour en apprenant à mourir.
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